Culture

"Babi Yar": un chant poignant sauvé de l’abîme

Cet article appelle à partager l’unique chant créé par une survivante à l’époque. Il raconte aussi sa transmission miraculeuse jusqu'à nous.

Babi Yar, 29 septembre 2025, cérémonie commémorative en présence du président Zelenski. Photo fournie par la Fédération des communautés juives d'Ukraine
Sep 30, 2025

Par Laurent Vogel (RESU-Belgique)

Des hyperliens ont été placés pour les principales sources accessibles sur internet

Le contenu de cet article est complémentaire par rapport à l'article que notre site a publié pour la commération de Babi Yar en 2023

28 septembre 2025

Les 29 et 30 septembre, les communautés juives d’Ukraine commémorent le 84e anniversaire du massacre de Babi Yar. Ce jour ravive la mémoire des événements et rappelle à quel point l’avenir démocratique de l’Ukraine est lié à la lutte contre l’antisémitisme et contre toute idéalisation du rôle joué par l'extrême-droite nationaliste ukrainienne au cours du XXe siècle.  Loin d’être une question d’histoire confiée aux délibérations des cercles académiques ou dont le débat public serait renvoyé prudemment à l’après-guerre, la mémoire qui se construit autour de Babi Yar est une épreuve décisive pour l’ensemble de la société ukrainienne aujourd’hui, pour sa lutte contre l’invasion russe,  pour l’édification d’une nation capable de mettre en commun l’apport de chacune de ses composantes dans un double combat contre l’impérialisme russe et contre la droite nationaliste. Sur ce point, je partage l’opinion du cinéaste S. Loznitsa qui déclarait en 2022 dans une interview sur son film « Babi Yar –Contexte » : « La résonance de l’événement aujourd’hui est simple : je dirais que le sort de ce pays dépendra de la manière dont les politiques vont se positionner par rapport à lui »[1]. 

A l'occasion de cet anniversaire, nous voudrions vous présenter un chant miraculeusement sauvegardé de l'abîme et parvenu jusqu'à nous: "Babi Yar", recueilli en 1947 auprès de Golda Rovinskaya qui avait alors ans 73 ans. Ce chant fait d'une collection unique de 710 chants yiddish créés pendant la Shoah, recueilli par un collectif dirigé par Moïsei Beregovski. Le fonds se trouve aujourd'hui à la Bibliothèque Vernadsky de Kyiv. Un collectif "Yiddish Glory" a été formé pour faire revivre une partie de ces chants.

[1] Interview publiée le 13 septembre 2022 dans le quotidien « Le Monde ».

En raison des contraintes liées à la conception de notre site, le lien avec le chant "Babi Yar" se trouve tout en bas de cette page. Si vous n'avez pas la patience de lire l'article, cliquez ici.

Pochette du CD qui reprend les 17 chansons recréées par "Yiddish Glory" à partir des archives de Beregovski découvertes à la bibliothèque Vernadski de Kyiv. "Babi Yar" est la 11e chanson du CD.

Rappelons brièvement ce que fut Babi Yar[1].

 

Kyiv, septembre 1941

Après la prise de Kyiv par les nazis le 19 septembre 1941, on estime qu’il y avait environ 120.000 Juifs dans la ville. Une partie d’entre eux étaient des réfugiés, survivants des massacres organisés en Ukraine occidentale dès le début de l’agression allemande contre l’URSS ; d’autres étaient des réfugiés arrivés antérieurement de Pologne. La majorité était des Juifs de Kyiv qui constituaient 26% de la population à la veille de la guerre, avec 224.000 personnes sur un total de 847.000 habitants en 1939[2].

La capitale ukrainienne était tombée à la suite d’un encerclement qui entraîna une des pires défaites soviétiques au cours d’une année qui n’en fut pourtant pas avare. Environ 700.000 soldats soviétiques sont morts, disparus ou faits prisonniers dans une bataille dirigée par Boudienny, un général typique de la fraction stalinienne apparue dès la guerre civile: habile manoeuvrier dans les intrigues politiques et complètement inepte dans une guerre moderne. Les mesures d’évacuation des Juifs avaient été décidées tardivement et n’avaient  eu qu’une portée limitée à cause de la débâcle. Dès leur entrée dans la ville, les nazis ont tenté d’orchestrer des pogroms avec l’aide d’activistes nationalistes. La population de Kyiv ne les a pas suivis. Il ne s’est produit rien de comparable aux pogroms de Lviv en juin et en juillet et de l’ensemble de la Galicie orientale [3].

Interrogations

Il serait simpliste de vouloir superposer la carte des pogroms avec une carte politique distinguant les territoires qui avaient connu le régime soviétique pendant une vingtaine d’années et ceux qui avaient été incorporés brutalement à l’Ukraine soviétique à la suite du pacte Hitler-Staline d’août 1939. Si les pogroms ont été nettement plus nombreux dans les « nouveaux territoires » de Galicie et de Volhynie (notamment à Loutsk), des villes situées en Ukraine soviétique depuis la fin de la guerre civile n’ont pas été épargnées comme Zhitomir en Ukraine centrale et Kamenets-Podolsk en Podolie. Par ailleurs, le territoire de l’Ukraine actuelle était administré suivant différentes modalités sous l’occupation allemande. Cela a exercé une influence sur les modalités de collaboration avec les forces nationalistes.

 

Une hypothèse qui mériterait être abordée plus systématiquement dans la recherche historique est celle des liens  entre les pogroms de 1941 et ceux qui ont ensanglanté une partie importante de l’Ukraine (et d’autres territoires de l’ancienne « zone de résidence ») pendant la guerre civile entre 1918 et 1921. Dans quelle mesure, cette vague d’une violence sans frein peut-elle avoir fonctionné comme la répétition générale d’un nettoyage ethnique de la population juive ? L’historien Nicolas Werth observe dans son introduction au Livre des pogroms«  Dans l’ombre de la Shoah, les pogroms des guerres civiles russes de 1918-1921 sont restés un événement peu étudié, eu égard à l’ampleur exceptionnelle des massacres, les plus grands massacres de Juifs avant la Shoah : au moins 100 000 tués, 200 000 blessés et invalides, des dizaines de milliers de femmes violées, 300 000 orphelins dans une communauté de quelque cinq millions de personnes » [4]?

  

Le massacre

Avant la chute de la ville, le NKVD avait placé des mines dans un grand nombre de bâtiments administratifs de l’avenue Khreshchatyk au centre de Kyiv. Grâce à un système complexe de commande radio, ces mines ont été activées le 24 septembre. Plusieurs milliers d’occupants allemands ainsi que des civils ont été tués par les explosions et les incendies qui s’en suivirent. Les nazis et leurs collaborateurs de l'extrême-droite nationaliste[5] ont accusé les Juifs de Kyiv d’avoir organisé les attentats.

Ruines dans l'avenue Khreshchatyk. Photo prise en septembre ou octobre 1941. Source: Khiterer, 2017.

Le 28 septembre, une proclamation des nazis ordonnent aux Juifs de se présenter dès le lendemain au carrefour de deux rues situées à proximité du ravin de Babi Yar. Le massacre commence dès le matin du 29 septembre lorsque la foule qui répond à la convocation est divisée en  groupes d’une trentaine de personnes. Chaque groupe est envoyé vers le ravin. Course dans la panique des coups de matraque des auxiliaires de police ukrainiens et des chiens dressés pour mordre. Une partie des victimes est envoyée au fond du ravin pour y être abattue. D’autres sont fauchées par des tirs de mitraillettes, debout sur une étroite bande de terre qui surplombe le ravin. Des soldats allemands surveillent la masse des corps et pratiquent un « tir de grâce » dès qu’ils détectent un mouvement. Il s’agit d’une organisation minutieuse de la mise à mort par fusillades. Elle répond à des exigences élevées de rationalité technique qui anticipe l’organisation industrielle de la mort dans les camps d’extermination. Elle permet de tuer 22.000 Juifs le 29 septembre. Tous ceux qui n’ont pas pu être tués ce jour-là seront assassinés le lendemain après avoir dû passer la nuit sur place. D’après les décomptes de l’armée allemande, 33.771 Juifs ont été assassinés en moins de 48 heures.

Vue aérienne de Babi Yar en 1943 (prise par l'armée allemande) US Holocaust Memorial Museum
Une carte de Babi Yar en 1941. Le cimetière juif avait été partiellement détruit par les nazis. Il a été rasé à l'époque soviétique pour construire une tour de radio-télévision. Depuis les années cinquante, une partie importante du ravin a été comblée avec des déchets d'une usine de matériaux de construction. US Holocaust Memorial Museum

Ensuite, jusqu’à la fin de l’occupation nazie, Babi Yar deviendra un lieu d’exécution « généraliste » : on y tue aussi bien des Juifs que des opposants de toute nationalité, qu’ils soient communistes ou nationalistes, des Témoins de Jéhovah, des Rroms, des soldats de l’armée soviétique, des malades mentaux, des membres du clergé. Un certain nombre de collaborateurs ukrainiens, actifs aux côtés des nazis en 1941, sont exécutés en fonction de tensions et de ruptures politiques ultérieures. C'est le cas d'Ivan Rogach, rédacteur en chef d'Ukrainske Slovo, seul quotidien en ukrainien autorisé à paraître par l'occupant nazi à partir du 25 septembre 1941. Ca cadre de l'OUN-M fut exécuté à Babi Yar par ses anciens alliés en juin 1942. Son quotidien se distinguait par un antisémitisme agressif.

On ne dispose pas de statistiques précises sur ces exécutions. Les estimations des historiens peuvent aller jusqu’à 120.000 morts. Pendant toute l’occupation de Kyiv, Babi Yar a été le principal terrain d’exécutions massives.

Une des photos les plus connues de Babi Yar pendant l'été 1943. Des prisonniers de guerre soviétiques doivent combler le ravin sous la surveillance de soldats allemands

Camouflages

A partir de l’été 1943, les nazis prennent la décision de détruire les traces du massacre. Les dizaines de milliers de corps qui se trouvent dans le ravin doivent être exhumés et incinérés. Cette mission est confiée à un Sonderkommando d’environ 300 prisonniers du camp de Syrets établi à proximité du ravin. La résistance s’organise au sein du Sonderkommando dont les membres savent qu’ils seront eux-mêmes exécutés dès la fin de leur travail. Le 29 septembre 1943, un soulèvement est organisé. Sur la quarantaine de prisonniers qui ont pris part à la révolte, 14 ont survécu jusqu’à l’arrivée de l’armée soviétique. Vladimir Davidov, un des chefsde la révolte, a témoigné au procès de Nuremberg. D’autres survivants de ce Sonderkommando, comme Yakov Kaper[6],ont écrit leurs mémoires sur Babi Yar.

Pour sa part, l’extrême-droite nationaliste sent le vent tourner. L’OUN-B [7] organise un congrès extraordinaire en août 1943. Les nouveaux documents politiques adoptés sont exempts de toute revendication de l’antisémitisme. Ils passent sous silence l’activité de l’OUN-B depuis juin 1941 à l’encontre desJuifs. Ils promettent que le nouvel Etat indépendant respectera les minorités nationales juive et polonaise. L’OUN-B est prise au piège de ses propres représentations antisémites. Elle souhaite passer de l’alliance avec l’Allemagne à une alliance avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Elle est convaincue que la « juiverie mondiale » exerce une influence déterminante sur la politique de ces Etats. Les nouvelles proclamations n’empêchent pas l’organisation de poursuivre l’extermination de Juifs survivants réfugiés dans les forêts.Elles donneront cependant lieu, à partir du début du XXIe siècle, à une campagne de falsification historique dont on trouve l’expression dans de nombreux musées, monuments et commémorations, y compris à Babi Yar.

Pour se rendre du centre de Kyiv à Babi Yar, l’on peut passer par l’axe de communication que forment les avenues Bandera et Shukhevich [8],deux figures majeures d’un antisémitisme exterminateur. Cela en dit long sur un conflit mémoriel qui s’inscrit jusque dans la toponymie. Les tendances négationnistes semblent aujourd’hui l’emporter au niveau des autorités municipales à Kyiv comme dans de nombreuses autres villes. Le simple fait qu’un débat sur la collaboration interne soit possible en Ukraine indique cependant une différence réelle par rapport à la Russie. Comme l’observe Anna Colin Lebedev, le massacre de Zmievskaïa Balka, près de Smolensk (ouest de la Russie), dont l’ampleur est presque équivalente à celle de Babi Yar (22.000 victimes en deux jours, les 11 et 12 août 1942),  est quasiment ignoré. Ce débat est cependant entravé par des lois mémorielles répressives.

L’armée soviétique reprend Kyiv aux nazis le 6 novembre 1943. Peu à peu, la vie juive s’y réorganise. Très peu de Juifs ont survécu sur place, le plus souvent grâce à l’aide d’habitants non-Juifs. Des dizaines de milliers d’autres retournent à Kyiv à partir de la fin 1943. Il s’agit de civils qui avaient pu être évacués en 1941 et d’anciens militaires démobilisés avec la fin de la guerre Par ailleurs, les Juifs survivants des régions rurales et des petites villes d’Ukraine émigrent vers les grandes villes à la recherche de meilleures conditions d’existence. Ce mouvement aux causes sociologiques multiples correspond aussi à un réflexe vital, sécuritaire dans le contexte de l’après-guerre. Il est difficile d’envisager une coexistence là où les « voisins » ont directement pris part aux massacres.

Deux verrous soviétiques

Dès 1947, le pouvoir stalinien cherche à enfermer les travaux historiques et la mémoire dans un espace étroitement surveillé. Il impose deux verrous[9].

Il est interdit de mentionner la spécificité du massacre des Juifs, c’est-à-dire d’un génocide qui a détruit environ deux tiers de la population juive d’Ukraine. Sur deux millions et demi de Juifs vivant en Ukraine au début de l’invasion nazie, il y aurait eu entre un million et un million et demi de morts. Ce génocide a anéanti de manière systématique chaque individu considéré comme Juif par les nazis et leurs collaborateurs, depuis les nouveaux-nés jusqu’aux vieillards. Dans la majorité de cas, la mise à mort s’est déroulée sur les lieux où vivaient les victimes ou à proximité de ceux-ci, sans transport, ni regroupement dans des camps. La formulation officielle soviétique dénonce les massacres de « citoyens pacifiques soviétiques »par les occupants fascistes. C’est une formule rituelle qui s’impose sur les plaques commémoratives (rarement mises en place) même là où l’on sait que 100% des victimes étaient juives et avaient été assassinées pour cette seule raison.

Le deuxième tabou concerne la collaboration. Des instructions strictes de la censure réduisent autant que possible les informations sur la collaboration de citoyens et d’organisations soviétiques pendant la guerre. Leur épuration après-guerre se poursuit « à bas bruit » sans procès spectaculaire, sans articles détaillés dans la presse, sauf quand les responsables poursuivis ont également mené des activités clandestines contre le régime après 1945. Les véritables collaborateurs actifs sont rarement distingués du reste de la population qui a survécu dans les territoires occupés. Il y a une sorte de stigmate général qui suspecte la loyauté de l’institutrice autant que celle du délateur zélé. La même stigmatisation concerne l’ensemble des personnes déportées vers l’Allemagne qu’elles soient civiles ou militaires. Le terme « bandériste » est utilisé arbitrairement par le pouvoir pour désigner l’ensemble des Ukrainiens se battant pour des droits nationaux, qu’ils soient réellement bandéristes (c’est-à-dire inspirés par l’idéologie de l’OUN-B) ou qu’ils se rattachent à d’autres courants politiques, y compris des dissidents marxistes ukrainiens. Dans l’historiographie soviétique officielle, les bandéristes sont surtout accusés de nationalisme. Leur antisémitisme n’est que peu abordé.

Je ne me limiterai ici à une trop bref aperçu de la lutte menée pour maintenir la mémoire de Babi Yar malgré la censure et la répression de l’époque soviétique. Il s’agit d’une des pages les plus lumineuses de l’opposition au régime dans les années soixante à Kyiv. Mais la lutte a commencé bien plus tôt, avant la fin de la guerre. En septembre 1944, le poète Dovid Hofshtein (1889-1952)[10] tente d’organiser un rassemblement à Babi Yar pour commémorer le troisième anniversaire du massacre. Les autorités interdisent l’initiative et évoquent lâchement le risque de pogrom. A partir de 1944, il ne se passe pas une année sans conflit. Des activiste adressent des lettres aux autorités pour demander que des commémorations soient organisées ou qu’un monument soit édifié. On ne leur dit jamais « non » de manière définitive. On évoque toujours une question d’opportunité, de tenir compte de la « sensibilité de la société », de ne pas insister trop sur le sort des Juifs pendant la guerre.

Le moment le plus grotesque de cette longue histoire se situe en 1966. Après avoir rejeté un projet de monument très « réaliste socialiste » qui représentait un homme agitant un drapeau de façon triomphale, les autorités placent une pierre au carrefour des rues Dorogozhitsky et Melnikova surlaquelle on peut lire en russe et en ukrainien : « Sur ce lieu, sera édifié un monument pour les victimes du fascisme pendant l’occupation allemande 1941-1943 ». Un quart de siècle d’atermoiements pour aboutir à cela ! La simple traduction de ce texte en yiddish a semblé inconcevable aux autorités.

1966: cette pierre déposée au croisement des rues Dorogozhitsky et Melnikova annonce en russe et en ukrainien : « Sur ce lieu, sera édifié un monument pour les victimes du fascisme pendant l’occupation allemande 1941-1943 ». Source: Khiterer, 2017.

La combinaison de cynisme brutal, de corruption et d’ineptie du pouvoir stalinien va paradoxalement servir la cause de la mémoire. Dans les années cinquante, les autorités municipales font tout pour faire disparaître les traces matérielles de Babi Yar. On utilise des déchets industriels mêlés à de la boue pour combler le ravin. Une nouvelle rue est construite avec une digue en raison des inondations fréquentes de ces quartiers. L’écrivain Viktor  Nekrasov s’oppose à ces projets urbanistiques qui semblent destinés à effacer Babi Yar de la carte. Il écrit un article courageux dans la Literaturnaya Gazeta du 10 novembre 1959 : « Pourquoi aucun monument n’a été construit ? ».

Mal conçue, mal construite, la digue s’effondre le 13 mars 1961. Une vague de boue déferle sur le quartier de Kurenevsky. Le bilan officiel est de 150 morts. Des rumeurs avancent le chiffre de 1.500 et attribuent le drame à une vengeance divine contre la tentative de dissimuler un crime. Du coup, Babi Yar revient sur toutes les bouches à Kyiv.

A partir de cette date, la lutte est menée en commun par des activistes juifs de différentes convictions politiques et d’autres secteurs de la dissidence soviétique. Les milieux démocratiques et socialistes ukrainiens des années soixante y jouent un rôle important avec, entre autres, Ivan Dziouba (1931-2022).  Plusieurs commémorations illégales sont organisées sur les lieux du massacre. Les activistes peuvent être condamnés à de lourdes peines de prison. Boris Kochubevskii écope de trois ans de prison dans un procès qu'un samizdat de l’époque décrit comme « digne du procès Beilis » parce qu’il est émaillé de déclarations incendiaires antisémites. Le seul acte réel sur lequel repose le procès est sa prise de parole à Babi Yar, lors de la commémoration de 1968.  

La commémoration illégale de 1966. Les flèches désignent l'écrivain russe Viktor Nekrassov (à gauche) et l'opposant ukrainien marxiste Ivan Dziouba (à droite). Source; Ukraine Solidarity Campaign.

Ce combat est aussi littéraire et musicale. Inspiré par le poème « Babi Yar » d’Evgueny Evtoushenko, Dimitri Chostakovitch crée sa symphonie n°13 en décembre 1962. Anatoli Kouznetsov qui vivait à proximité des lieux a publié un« roman-document » basé sur une recherche passionnée des témoignages et sur ses propres notes prises dès l’âge de 12 ans, dans les mois qui suivent le massacre. Son texte n’arrive à être publié qu’en 1966 dans la revue Iounost, fortement modifié par la censure. Il faudra attendre l’époque de l’exil de Kouznetsov (à partir de 1969) pour que soit publié le livre dans sa version intégrale[11].

Du « livre noir » à la recherche ethnomusicologique

Dès la fin de 1942, le Comité Antifasciste Juif, formé à Moscou, pour impulser le soutien des Juifs du monde entier au combat de l’URSS contre le nazisme, décide de recueillir une documentation systématique sur la Shoah qui est en cours. Les principaux rédacteurs du projet de "Livre Noir" sur l'extermination des Juifs d'URSS sont Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman. Ils coordonnent une équipe de près de 40 personnes et s’appuient sur environ 300 correspondants. En 1947, la montée de l’antisémitisme d’Etat aboutit à l’arrêt du projet alors queles épreuves du livre sont prêtes.

La plupart des dirigeants du Comité Anfifasciste Juif (CAJ) ont été exécutés à Moscou dans la nuit du 12 août 1952.

Le président du CAJ, l'acteur Solomon Mikhoels (1890-1948) a été assassiné à Minskle 18 janvier 1948. La police a camouflé ce meurtre en un accident de la circulation. Sur cette photo, il interprète le roi Lear.

L’histoire du Livre Noir est bien connue depuis la fin de l’URSS[12].Le livre a été enfin publié en russe par un éditeur de Vinius en 1993. Son souvenir ne s’était jamais complètement effacé avant 1989. Une version partielle du livre avait circulé dans une dizaine de pays en 1946.

Rien de tel en ce qui concerne le volet ethnomusicologique de la recherche sur la Shoah.  A ma connaissance, il n’existe aucune allusion concernant ce projet qui aurait été publiée avant 1989.

Il n’existait pas de lien formel entre l’équipe du « Livre noir », basée à Moscou dans le cadre du Comité Antifasciste Juif (CAJ), et les musicologues, basés à Kyiv dans un cadre relativement autonome au sein de l’Académie des sciences de l’Ukraine soviétique. C’est le contexte politique qui établit une correspondance.

Le projet ethnomusicologique avait plusieurs atouts. Il ne faisait pas l’objet de la même surveillance de la part des autorités centrales. Il avait fallu l’autorisation de Staline pour former le CAJ. C’est une décision personnelle de Staline qui a provoqué l’assassinat de son président Mikhoels en 1948. A Kyiv, on se limitait à poursuivre une activité qui n’avait jamais été remise en cause par le pouvoir depuis 1929. Les enquêtes s’inscrivaient dans la continuité d’un projet d’une ampleur considérable qui avait été lancé dès 1912 par An-ski (1863-1920) [13]. Aux yeux des autorités, il ne constituait pas une innovation suspecte.

Le responsable de la recherche des chants yiddish sur la Shoah était précisément le musicologue qui avait assuré la continuité du projet d’An-ski sur plusieurs décennies, malgré les bouleversements politiques considérables. Il s’agit de Moisei Iakovlevich Beregovski (1892-1961)[14] [15].  

Beregovski avait été formé par une double éducation. D’abord yiddish, hébraïque et religieuse, dans un heder. Ensuite, à partir de l’âge 13 ans, dans un « Gymnasium » (lycée) de Kyiv. Son éducation musicale était à la fois pratique (pendant son enfance, il semble avoir chanté dans des chœurs à la synagogue) et érudite, acquise au conservatoire de musique de Kyiv (1915) et à Pétrograd (1920).  Sa formation concernant la méthodologie dans les recherches sur le folklore a été assurée par Klyment Kvitka (1880-1953), un acteur important de la renaissance culturelle ukrainienne des années vingt. Kvitka avait travaillé à l’enregistrement de la musique kobzar[16] dès 1908. Beregovski est parvenu à assurer la poursuite du projet initial d’An-ski grâce à la création de l’Institut pour la culture juive prolétarienne[17] à Kyiv. L’activité d’enquête ethnomusicologique s’est poursuivie de 1929 à 1949 (avec des rattachements institutionnels qui ont varié dans le temps). Pendant 20 ans, Beregovski en a assuré la direction.

Présidium de l’Institut de Culture Juive Prolétarienne, Kiev, 1934. Moisei Beregovski est à l’arrière, 4e personne en partant de la gauche. Source: YIVO.

Un projet qui prolonge un travail immense initié par An-ski

Les fonds de la bibliothèque Vernadski reposent sur un travail qui a été entamé dès l’époque tsariste. Il s’agit d’expéditions musicologiques et ethnographiques dans la zone de résidence où ont été confinés les Juifs depuis le règne de Catherine II jusqu’à la révolution de février 1917. La partie sonore du matériel collecté entre 1912 et 1949 a été préservée sur plus de 1.000 phonocylindres de cire (d’une durée qui varie de 2 à 7 minutes). Les enregistrements sont complétés par des transcriptions de textes de chanson, des partitions et d’autres documents sur le contexte des chansons.

An-Ski en 1910.

Avant l’instauration du régime soviétique, ces expéditions ont été organisées par S. An-ski, J. Engel et Z. Kisselhof. Elles étaient liées à l'activité de la Société historique et ethnographique juive de Saint-Pétersbourg et aux Sociétés de musique juive de Moscou et de Saint-Pétersbourg (1908-1914). Elles reposaient aussi sur l’engagement politique d’An-ski qui avait adhéré au courant populiste révolutionnaire. Le travail ethnographique d’An-ski a toujours conservé une dimension militante. Suivant Valery Dymshits, il considérait que « les traditions sociales et les pratiques économiques (des communautés juives du sud-ouest de l’empire)permettraient d’instaurer le socialisme sans passer par le capitalisme » [18].

Grâce à l'équipe de la bibliothèque Vernadski, les chants enregistrées sur des miiliers de cylindres de cire recueillis au cours des expositions ethnomusicologiques menées par An Ski ou ses collaborateurs deviennent progressivement disponibles sur des CD. Vous pouvez écouter le contenu de ce CD en cliquant ici.

Presque trente ans plus tard, le volet spécifique lié à la Shoah reposait sur les mêmes méthodes d’investigation. Ses objectifs politiques n’ont pas pu être exprimés librement. Le pouvoir stalinien pouvait difficilement accepter qu’on enregistre des chansons populaires, sans passer par le processus d’édition et de censure, qu’il avait imposé aux rédacteurs du « Livre noir ».

Il s’agissait de recueillir les chansons créées par des Juifs pendant la guerre dans trois centres principaux de création. Dans les territoires d’Asie centrale, d’Oural et de Sibérie où vivait une partie de la population juive évacuée en 1941 pendant l’offensive allemande. Au sein d’unités de l’Armée soviétique dans les rangs de laquelle 440.000 juifs ont combattu pendant la deuxième guerre mondiale. Dans les territoires qui avaient été occupés où des enquêtes musicologiques furent lancées dès le retrait des troupes allemandes. Les enquêtes se sont  déroulées principalement en 1944 et 1945.

Liquider les porteurs de la mémoire de la Shoah

Tout a pris fin avec la liquidation par le pouvoir stalinien de l’Institut de la culture juive en 1949 suivie par l’arrestation de son directeur Beregovski en août 1950. Condamné en 1951, Beregovski a été enfermé dans un camp, Ozerlag, situé dans l’oblast d’Irkoutsk.Ce camp était destiné à des prisonniers politiques qui devaient travailler à la construction d’un tronçon de la voie ferrée BAM (ligne Baïkal-Amour). Beregovski a fait l’objet d’une libération conditionnelle en mars 1955 en raison de son mauvais état de santé.

L’ensemble du matériel recueilli depuis 1912 avait été mis sous scellées par les enquêteurs du MVD[19]. Jusqu’à leur mort, Beregovski et  ses collaborateurs ont pensé que ce travail de plus de trois décennies avait été anéanti.

Cette conviction était partagée par les historiens. Par ailleurs, aucun d’entre eux ne connaissait l’existence d’un volet spécifique concernant la Shoah. Dans une publication éditée à Moscou et à Jérusalem en 1994, on trouve encore l’affirmation suivante : « La collection phonographique, emportée par les occupants enAllemagne, a été découverte là-bas lors de l'offensive de nos troupes [20] et restituée à son propriétaire légitime, le Cabinet de la culture juive. Les fascistes ont fusillé tous les Juifs de Kiev à Babi Yar, mais ils ont soigneusement répertorié et évacué, lors de leur retraite, les rouleaux contenant des enregistrements de musique folklorique juive. Ces rouleaux de cire fragiles se sont avérés très résistants : ils ont survécu à Hitler. Mais ils n'ont pas survécu à Staline : lors de la liquidation du Cabinet de la culture juive, cette collection unique a disparu, comme tous les autres documents rassemblés dans le cabinet du folklore juif. On dit que les rouleaux ont été transportés en camion hors de la ville et détruits. ».

Le recueil "Arfy na verbakh" sur le travail et la vie de M. Beregovski, Moscou-Jérusalem, 1994

En réalité, les caisses contenant ces matériaux avaient  été transmises à la Bibliothèque scientifique centrale de l'Académie des sciences de la République socialiste soviétique d’Ukraine, plus connue actuellement comme Bibliothèque Vernadski. Beregovski n’en a jamais été informé après sa libération. Très affaibli par le camp et par un cancer, il se savait un des derniers détenteurs d’une connaissance unique, immense de la musique populaire yiddish. Il avait travaillé sur les niggunim hassidiques avec la même passion que pour les chants prolétariens, la musique Klezmer ou les Purim Shpillen [21] .Il a passé ses dernières années à ordonner ses notes, ses articles, ses souvenirs, cherchant sans grand espoir à faire survivre au-delà de sa propre mort tout ce qui pouvait être communiqué sur la musique populaire yiddish dans un pays où le seul usage de la langue était désormais considéré avec suspicion.

Les caisses ont été conservées en bon état. Leur contenu semblait des âmes errantes, incapables de porter le trouble pour rappeler leur présence au monde comme aurait pu le faire un dibbouk. Le catalogue avait complètement disparu : incurie de la police soviétique ou destruction volontaire ?

Le miracle s’est pourtant produit … à deux reprises au moins [22]!

Deux ou même trois miracles

Le premier miracle est que des chercheurs ont fini par ouvrir ces caisses. Ils ont été éblouis par leur découverte. Un catalogue a été dressé par Lyudmila Sholokhova. Le cercle étroit des musicologues, uncertain nombre d’historiens de la Shoah ont pu accéder à ce trésor grâce aux efforts de la bibliothèque Vernadski. Elle a réussi à inscrire le fonds registre au Registre « Mémoire du monde »de l'UNESCO. A partir de 1995, les cylindres ont été  réenregistrés de façon à permettre aux chercheurs de travailler sans craindre de détruire un matériel unique.

Ce CD produit par la bibliothèque Vernadski contient 48 chansons provenant des expéditions menées entre 1940 et 1946. Une partie importante de ces chansons sont liées à la Shoah et ont été recueillies entre 1944 et 1946 auprès des quelques survivants. Vous pouvez écouter (en accès libre) le contenu de ce CD en cliquant ICI.

Le deuxième miracle a été le passage, au début des années 2000, à Kyiv d’Anna Sthernshis, une historienne spécialisée dans la culture yiddish de l’époque soviétique. Elle enseigne le yiddish et est passionnée de musique.C’est sans doute le croisement de ses champs d’activité qui l’ont immédiatement convaincue que les chansons créées pendant la Shoah devaient être écoutées de nouveau et rendues accessibles à un large public.

Sous le label « Six degrees », un intense travail collectif a été mené pendant trois ans pour faire revivre dix-sept des 710 chansons qui avaient été recueillies par l’équipe de Beregovski. Il a pris le nom « Yiddish Glory ». Nous sommes redevables au chanteur-compositeur russo-américain Psoy Korolenko, à l’historienne Anna Shternshis, à la direction du violoniste russe Serguei Erdenko, à la chanteuse de jazz Sophie Milman  et à d’autres artistes lyriques et musiciens.

Dans la plupart des cas, la mélodie n’était pas mentionnée. Elle a fait l’objet d’un travail de re-création musicale basé sur des mélodies empruntées à d’autres chants yiddish. Désormais, des concerts sont organisés, l’ensemble du matériel est accessible sur des réseaux sociaux comme YouTube. Un CD est disponible. En 2025, une tournée est annoncée en Amérique latine. Elle sera organisée au Costa Rica, en Argentine, au Brésil et au Panama.

Les chants de la Shoah, recueillis par Beregovski et son équipe résonnent de nouveau dans des salles de concert. Au premier plan, Psoy Korolenko. (Source: Yiddish Glory)

La chanson « Babi Yar »

La chanson de cet ensemble qui s’intitule Babi Yar a été recueillie le 22 juin 1947 par Hina Shargorodsky. Son autrice, Golda Rovinskaya avait alors ans 73 ans.

C’est une chanson d’une beauté poignante qui décrit le retour plein d’espérance d’un homme (sans doute un soldat démobilisé) qui apprend que sa femme, son enfant unique, tous ses proches ont été assassinés. La musique est basée sur « In droysn geyt a regn» (« Quand il pleut dehors »), une chanson sur l’amour d’une jeune fille et la mort qui surviendrait s’il n’était pas partagé par son bienaimé

Le premier couplet nous apprend qui est l’homme qui chante. Peu à peu, sa voix se déplace. Elle rapporte les mots des quelques survivants qui étaient sur place, dans la ville, lors du massacre. L’homme s’efface. Seul le langage poétique de ceux qui étaient là peut rendre compte du massacre. On imagine que l’autrice a voulu rapporter les quelques mots murmurés à la sauvette en yiddish par les survivants restés sur place pour tenter d’expliquer l’indicible aux Juifs revenus du front ou de l’arrière. Cette impossibilité de communiquer entre le deuil et une victoire qui résidait dans la seule survie physique a été observée à l’intérieur des communautés juives en Pologne comme en Ukraine, en Russie et dans tous les lieux où la Shoah s’est déroulée sur place.  J’y vois un écho de la chanson « Unter di khurves fun Poyln » qui commence ainsi « Sous les ruines de Pologne/ Une tête aux cheveux blonds/ Cette tête et ce désastre/ Ils sont là, réels tous les deux ».

Au quatrième couplet, le dernier vers peut être un écho de l’époque des grandes luttes. La description de Babi Yar où « fun blut iz die ert gevoynt rot » (la terre était devenue rouge par le sang »)évoque un autre chant, né quarante ans plus tôt, qui jurait « de vaincre les forces obscures ou de tomber en héros dans la bataille ». Il s’agit de « Die Shvue , l’hymne du Bund [23],où c’est le drapeau qui est rouge par le sang (« fun blut iz zi royt »). Du chant de combat aux seuls mots permettant d’évoquer la catastrophe quarante ans plus tard, le rouge-sang s’est répandu du drapeau sur la terre. Raccourci vertigineux de l’histoire : ces vers étaient de Shlomo An-Ski , celui par qui débuta la quête musicale qui nous a exhumé le chant « Babi Yar ».

Chaque couplet est scandé par un « Oy »qui ouvre le troisième vers. Cette interjection est une forme abrégée et courante de «  oy vey ». Elle clame la souffrance mais elle guide aussi les musiciens d’un rythme qui aurait pu être presque enjoué. C’est une mélodie qui se colle dans notre mémoire, qui y poursuit son chemin même sion voulait l’oublier.

Le couplet final est une conjuration, un avertissement, un cri d’alarme. Elle se veut optimiste mais il en émane une angoisse déchirante. Un doute ronge le triomphalisme des discours sur la victoire dans la « grande guerre patriotique ». On peut y voir le reflet de la tentative désespérée de reconstruire une vie juive à Kyiv à la fin des années quarante (c’est, malgré tout, « undzer land », notre pays). On peut y deviner une protestation contre la double remontée de l’antisémitisme à laquelle on a assisté en Ukraine autour à la fin des années quarante (« undzere soyne zukht vi er nokh azoyne », « notre ennemi cherche encore une victime »). Vers 1947, l’ennemi ne pouvait pas être l’Allemagne défaite. Il n’avait pas besoin de franchir les frontières avec des panzers. Il était là. Un et multiple. Tant l’antisémitisme populaire, attisé dans certaines régions par le conflit armé entre nationalistes et autorités soviétiques, que l’antisémitisme d’Etat qu’une personne qui avait traversé toute la première moitié du siècle pouvait deviner à travers les signes avant-coureurs des grandes campagnes contre le cosmopolitisme.

 

Laurent Vogel

28 septembre 2025

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NOTES

[1] Je me permets d’être bref. Je renvoie les lecteurs à un article que j’ai publié sur ce site en septembre 2023 à l’occasion du 82e anniversaire, ainsi qu’à l’article (en anglais) de Chistopher Ford, un historien britannique, très actif dans la solidarité avec l’Ukraine qui a pris part aux activités du RESU dès sa création. La majorité des références bibliographiques ont été transformées en hyperliens de manière à permettre un accès aux sources ou aux références directement sur internet.

[2]Source : V.Khiterer, 2020.

[3] Le début de la Shoah en Galicie Orientale est analysé avec précision dans le livre de Michèle Moutier-Bitan, "Le pacte antisémite. Le début de la Shoah enGalicie Orientale", Paris,  éd.Passés Composés , 2023.

[4] N. Werth, L. Miliakova, Le livre des pogroms, Antichambre d'un génocide,Ukraine, Russie, Biélorussie, 1917-1922, Paris, Calmann Levy, 2010. Parmi les travaux historiques, je recommande particulièrement:  Henry Abramson, A Prayer for the Government: Ukrainians and Jews in Revolutionary Times 1917-1920. Cambridge,Mass: Harvard University Press, 1999. Comme témoignage direct, on peut lire : S. Schwarzbard, Les mémoires d’un anarchiste juif, publié en traduction française en 2010. Sur Kyiv en particulier: T. Choppard, Le Martyre de Kiev: 1919. L'Ukraine en révolution entre terreur soviétique, nationalisme et antisémitisme, 2015.

[5] A Kyiv, en 1941, l’essentiel de la collaboration avec les nazis provient de l’OUN-Melnyk.  

[6] La traduction anglaise des mémoires de Kaper est en libre accès sur internet).

 [7] OUN : organisation des nationalistes ukrainiens créée en 1929. En février 1940, l’OUN se divise en deux groupes, désignés par le nom de leur chef suprême : OUN-B (Stepan Bandera) et OUN-M (Andrei Melnyk).  Sur l'OUN et la Shoah: JP Himka, Ukrainian Nationalists and the Holocaust. OUN and UPA’s Participation in the Destruction of Ukrainian Jewry, 1941-1944, Stuttgart, 2021

[8] Depuis la Pologne et l’Allemagne, Bandera n’a pas pris part à la Shoah sur le terrain. , il en a été un des organisateurs et des idéologues, placé à la tête d’une organisation très disciplinée, tenue à obéir inconditionnellement à son providnyk  (guide). Roman Shukhevych a été le principal cadre militaire de l’OUN (y compris avant la scission entre bandéristes et melnykistes). Son bataillon Nachtigal joua un rôle décisif dans les deux grands pogroms de Lviv. Jusqu’à la fin de la guerre, Shukhevych dirigea des massacres contre les Juifs ainsi que contre la minorité polonaise. L’historien Grzegorz Rossoliński-Liebe a écrit en allemand une biographie très complète de Bandera. Ce livre a été traduit en anglais en 2024.

 [9] Ils sont notamment  signifiés dès octobre 1947 aux responsables de la rédaction du Livre noir  ( https://auschwitz.be/images/_expertises/2021-van_praag-grossman.pdf)

[10] Assassiné à Moscou avec la plupart des autres dirigeants du CAJ durant la nuit du 12 août 1952 au cours de ce qui a été parfois surnommé « la nuit des poètes juifs assassinés ».

[11]F. Leichter-Flack, Babi Yar, Un palimpseste politique, « La vie des idées », novembre 2012.

[12] Bonne synthèse dans : Ilya Altman, Histoire et destinée du Livre Noir,Préface à l’édition russe qui est repris publiée  dans l’édition française du Livre Noir publiée en 1995.

[13]An-Ski, pseudonyme littéraire de Shloyme (ou Shlomo) Zanvl Rappoport, écrivain yiddish, ethnologue et cadre politique du populisme révolutionnaire dans l’empire russe. Il est mondialement connu pour avoir écrit la pièce de théâtre « Le Dibbouk ».

14 Je dois à différentes publications de l’historienne Evguenya Khazdan d’avoir découvert l’histoire passionnante de Beregovski. Elle a dirigé la publication bilingue (original yiddish et traduction russe) d’Essais de Beregovski sur la musique populaire yiddish.

[15]Il faut mentionner le film documentaire d’Elena Yakovich consacré à la vie de Beregovski., Intitulé “Song Searcher: The Times and Toils of Moyshe Beregovsky” en anglais (2022). ON peut en voir le trailer anglais sur YouTube.

[16]Les kobzars sont des bardes itinérants jouant d’un instrument à corde (kobza) dont l’origine se situe dans les sociétés nomades d’Asie centrale. Cette tradition s’est étendue sur un vaste territoire qui correspond à des régions del’Ukraine, de la Moldavie, de la Hongrie et de la Roumanie actuelles. Sous le régime soviétique, cette tradition a décliné. Elle renaît en Ukraine depuis une vingtaine d’années.

[17]L’historiographie actuelle en Ukraine tend à s’y référer comme Institut de culture juive.

[18]In : Le Dibbouk. Fantôme du monde disparu (2024), p.37.

 [19]Le MVD est le ministère des affaires intérieures. Il s’agit d’une nouvelle appellation donnée au NKVD en 1946 lorsque tous les « commissariats dupeuple » (mise en place après la révolution d’octobre 1917) furent remplacés par des « ministères ».

[20] Cette version repose principalement sur un témoignage de la fille de Beregovski.  Les archives (ou une partie des archives ?) auraient été emportées par les nazis et récupérées ensuite en 1945 par l’armée soviétique. D’autres sources, notamment le projet déposé à l’UNESCO par la bibliothèque Vernadski, mentionnent une évacuation vers Oufa, en Bachkirie soviétique, où toutes les activités de l’Académie des sciences de l’Ukraine soviétique avaient été transférées et où a vécu Beregovski entre 1941 et 1944. Quoi qu’il en soit, la dernière partie du texte (destruction lors des purges staliniennes) a été démentie par la suite des événements…

[21]Beregovski a publié une anthologie (partiellement inachevée) de la musique populaire juivre. Les différents volumes témoignant de son intérêt pour les multiples expressions de la création populaire : le 1er volume, Chansons de travailleurs et révolutionnaires juifs est publié en 1934 ; le 2e volume, Chansons folkloriques juives, est achevé en 1938, mais n’a pas été publié; le 3e volume traite de la Musique folklorique juive instrumentale  ; le 4e volume concerne les mélodies juives sans paroles, ou niggounim [1999] ; le 5e volume est relatif au théâtre et pourim-shpils.

[22] A trois reprises si l’on tient compte de ce qu’a rapporté la fille de Beregovski sur les caisses retrouvées par l’armée soviétique en Allemagne en 1945.

[23] “Die Shvue” (le serment) a été adopté comme hymne par le Bund. Les paroles sont basées sur un poème d’An-Skide 1902. Le même texte, dans une version modifié, a été repris comme hymne par le parti sioniste socialiste Poalei Zion. Cela témoigne de la popularité du poème d’An Ski parmi les travailleurs de l’ancien yiddishland et de l'absence d'étanchéité stricte à la base du mouvement ouvrier dans l'empire tsariste

Texte yiddish et translittération par le collectif Yiddish Glory

Traduction française (RESU-Belgique)

Je déborde de bonheur en quittant le front

C’est que je suis encore en vie

Oy, mais quand je retourne dans ma ville et que je demande des nouvelles de mes proches

On me répond : « Il ne reste personne »

 

Je reste immobile, submergé par le chagrin,

Le cœur brisé par la tristesse

Oy, où que je regarde, je ne vois que ce couple

Ma femme et mon unique enfant

 

Quelles épreuves avons-nous endurées !

Quel terrible décret est-ce là ?

Oy, à cause de ce malheur, tant de gens ont fui

Ceux qui sont restés gisent à Babi-Yar

 

De nuit comme de jour, les coups de feu retentissaient

Les gens voyaient leur propre mort approcher

Oy, le sang jaillissait de toutes parts

La terre était tachée de rouge par le sang

 

Cette terrible douleur nous accompagnera pour toujours :

Que les Allemands aient versé tant de sang

Oy, la terre sera éternellement scellée par nos larmes

Les survivants devraient être en au sûr

 

Mais notre ennemi cherche encore uneautre proie

À éliminer d'un seul coup

Oy, tant qu'ils seront en vie, ils n'y parviendront pas

Ils ne seront plus jamais dans notre pays.

 

Traductions en anglais et russe (par Yiddish Glory)

 

Lectures complémentaires sur notre site:

82e anniversaire du massacre de Babi Yar, par Laurent Vogel (RESU-Belgique)

Leonid Finberg, promoteur de la démocratie et de la culture juive en Ukraine, Propos recueillis par Claire Brissard, Desk Russie

La droite nationaliste ukrainienne et l'extermination des Juifs. L'histoire contre les mythes négationnistes, par Par Masha Cerovic (EHESS, France)

"Dans notre synagogue" d’Ivan Orlenko par Tessa Parzenczewski (UPJB-Belgique)

Nouvelles attaques russes contre les communautés juives en Ukraine

Echappée à la mort: l'histoire de Leah Dicker, par le comité de rédaction de la revue Spylne (Ukraine)

Publication en français du livre "Internationalisme ou russification" écrit par le dissident Ivan Dziouba en 1965, par Vladyslav Starodubtsev

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