Défier le goulag du XXIe siècle de Poutine : comment les militants anti-guerre utilisent les tribunaux pour s'opposer à la guerre de la Russie contre l'Ukraine

Simon Pirani est un historien, militant et chercheur dans le domaine de l'énergie, qui a beaucoup écrit sur la Russie et l'Ukraine, notamment sur ce blog peoplenature.org. Pirani a prononcé le discours suivant, dans lequel il parle de son prochain livre, Voices against Putin's war: Protesters' defiant speeches in Russian courts (Voix contre la guerre de Poutine : discours de défi des manifestants devant les tribunaux russes), lors de la conférence Socialism 2025, qui s'est tenue du 3 au 6 juillet à Chicago, aux États-Unis, dans le cadre de la session « Les prisonniers politiques anti-guerre de Poutine en Russie ». La vidéo de l'intégralité du panel peut être visionnée ci-dessous. La transcription du discours a été éditée pour plus de clarté.

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Je visitais et écrivais sur la Russie et l'Ukraine depuis de nombreuses années lorsque la guerre a éclaté en février 2022. Je me suis tout de suite impliqué dans les efforts pour soutenir mes camarades et amis en Ukraine et en Russie. À l'été 2022, on a entendu parler d'un nouveau groupe, Solidarity Zone, qui avait été formé pour soutenir les personnes arrêtées pour avoir mené des actions directes contre la guerre, principalement en incendiant des centres de recrutement militaire. Un groupe d'entre nous en Grande-Bretagne a commencé à traduire leurs appels aux dons et d'autres documents.

Les incendies criminels sont commis lorsque les bureaux sont fermés ; ils visent à endommager des biens, pas des personnes. C'est devenu une forme de protestation assez courante. Il y a eu plus de 100 actions de ce type au cours de la première année qui a suivi l'invasion de l'Ukraine. Solidarity Zone a compris que les personnes détenues et leurs familles avaient besoin d'aide, en particulier d'avocats.

Suivant ces événements à distance, j'ai été particulièrement frappé par certaines des déclarations courageuses faites par ces jeunes lors de leur procès. Des discours similaires ont également été prononcés devant le tribunal par des personnes qui n'avaient pas participé à des manifestations aussi spectaculaires, mais qui avaient simplement dénoncé la guerre à haute voix – lors d'un événement politique, en ligne, etc. – et avaient ensuite été arrêtées. Ces personnes sont victimes d'une répression générale des droits démocratiques en Russie.

Au début de l'année, avec nos amis du Réseau européen de solidarité avec l'Ukraine, on a décidé de publier un recueil de ces discours. Je suis en train d'éditer le livre, mais ce n'est pas ça l'histoire. L'histoire, ce sont les discours eux-mêmes.

L'opposition à la guerre devant les tribunaux

Il y a neuf discours au total, ainsi que deux déclarations de personnes qui ont comparu devant le tribunal mais ont fait leurs déclarations ailleurs : celle de Kirill Butylin, qui (à notre connaissance) a été la première personne à mener une action de protestation avec des cocktails Molotov et à publier un message sur les réseaux sociaux ; et celle de Savely Morozov, un jeune homme du sud de la Russie qui était susceptible d'être appelé sous les drapeaux mais qui a dénoncé la guerre devant la commission de conscription.

La première chose qui m'a frappé dans ces discours, c'est le ton profondément moral de nombreux manifestants, qui étaient manifestement prêts à sacrifier énormément juste pour les prononcer. Igor Paskar, par exemple, a lancé une bombe incendiaire sur le bureau des services de sécurité fédéraux où il vivait, puis est resté sur place en attendant d'être arrêté. Il a été détenu et gravement torturé. Lorsqu'il a comparu devant le tribunal, il a déclaré :

Est-ce que je regrette ce qui s'est passé ? Oui, peut-être aurais-je voulu que ma vie soit différente, mais j'ai agi selon ma conscience, et ma conscience reste claire.

Il purge actuellement une peine de huit ans et demi de prison.

La deuxième chose qui m'a frappé, c'est qu'ils s'adressaient à la population, pas au gouvernement. Alexei Rozhkov a lancé une bombe incendiaire sur un centre de recrutement militaire où il habite.

Il a été libéré après une première audience, résultat inhabituel du bon travail de ses avocats. Rozhkov s'est ensuite enfui au Kirghizistan, mais il a été kidnappé, probablement par les forces de sécurité, et renvoyé en Russie pour être jugé. Il a déclaré : « Je ne doute pas non plus que des millions de mes compatriotes russes, femmes et hommes, jeunes et vieux, sont également opposés à la guerre et, comme moi, sont convaincus que la guerre n'est pas une solution, mais une impasse. Mais ils n'ont aucun moyen, sans risquer de finir derrière les barreaux, de faire quoi que ce soit pour se faire entendre, pour que leur opinion soit écoutée. » L'artiste ukrainien Bohdan Ziza a aspergé de peinture bleue et jaune, les couleurs du drapeau ukrainien, des bâtiments gouvernementaux en Crimée, occupée depuis 2014. Il s'est filmé en train de le faire et a déclaré : « Je m'adresse avant tout aux Criméens et aux Russes. »

Devant le tribunal, il a déclaré que son geste « était un cri du cœur, de ma conscience, à ceux qui avaient peur et qui ont encore peur, mais qui ne voulaient pas et ne veulent toujours pas cette guerre ».

Du pacifisme au défaitisme

La troisième chose qui m'a frappé dans ces déclarations, c'est leur point de départ très différent. Sur la question centrale de la guerre, leurs opinions vont du pacifisme au défaitisme.

Sasha Skochilenko, une artiste emprisonnée à Saint-Pétersbourg pour avoir écrit des messages anti-guerre sur des étiquettes dans un supermarché, a heureusement été libérée à la suite d'un échange de prisonniers. Lorsqu'elle était au tribunal, elle ne savait pas qu'elle allait être libérée. Elle a déclaré : « Je suis pacifiste. Les pacifistes ont toujours existé. C'est une certaine croyance des gens qui accordent la plus grande valeur à la vie. Nous croyons que tous les conflits peuvent être résolus pacifiquement.

Je ne peux pas tuer même une araignée, effrayée à l'idée de prendre une vie. »

Alexei Gorinov, un prisonnier politique très connu, s'est aussi exprimé devant le tribunal en termes très pacifistes, citant Lev Tolstoï.

À l'opposé, on a l'attitude de Darya Kozyreva, une étudiante de Saint-Pétersbourg emprisonnée pour avoir déposé des fleurs sur la statue de Taras Shevchenko, un poète national ukrainien. Devant le tribunal, elle a clairement indiqué que, pour elle, la question centrale était le droit de l'Ukraine à l'autodétermination et qu'elle justifiait clairement le recours à la force armée par les Ukrainiens pour faire valoir ce droit. Elle a déclaré que la guerre était une atteinte criminelle à la souveraineté de l'Ukraine, que l'Ukraine n'avait pas besoin d'un grand frère et qu'elle combattrait quiconque tenterait de l'envahir.

Un autre exemple est celui de Ruslan Siddiqi, un anarchiste qui a tenté de causer des dommages matériels aux forces armées russes en faisant exploser des bombes qui ont fait dérailler un train transportant des munitions vers le front. Il a justifié cet acte comme une action militaire du côté ukrainien, affirmant qu'il se considérait comme un partisan qui devrait être classé comme prisonnier de guerre.

Le dernier exemple, qui a aussi clairement exprimé son espoir de voir la Russie vaincue, est celui d'Alexander Skobov, 68 ans. Il a été arrêté pour la première fois en 1978, à l'époque soviétique, jugé pour son activité au sein du mouvement dissident et soumis à un traitement psychiatrique forcé. Cette année, 47 ans plus tard, il a de nouveau été traduit en justice pour des propos qu'il a tenus au sujet de la guerre.

Devant le tribunal, il a énoncé les trois principes de son organisation politique, le Forum pour une Russie libre : le retour inconditionnel à l'Ukraine de tous ses territoires internationalement reconnus occupés par la Russie, y compris la Crimée ; le soutien à tous ceux qui luttent pour cet objectif, y compris les citoyens russes qui ont rejoint les forces armées ukrainiennes ; et le soutien à la « résistance armée à cette agression sur le champ de bataille et dans l'arrière-pays de l'agresseur », à l'exclusion des attaques terroristes contre des civils.

La Russie de Poutine : le goulag du XXIe siècle

Pour parler de l'ampleur de la répression en Russie, je propose d'utiliser l'expression « goulag du XXIe siècle », qui me semble tout à fait justifiée. Memorial : Soutien aux prisonniers politiques, l'une des principales organisations non gouvernementales qui soutiennent les prisonniers politiques, a une liste de plus de 3 000 noms. La dernière fois qu'il y a eu un nombre comparable de prisonniers politiques, c'était au milieu des années 1970, sous Leonid Brejnev.

En plus des personnes détenues en Russie, il y a beaucoup de prisonniers provenant des territoires occupés de l'Ukraine. Dans leur cas, il y a beaucoup d'incertitude quant à leur nombre. Le Groupe de protection des droits de l'homme de Kharkiv, dans une communication à la Cour pénale internationale, a identifié plus de 5 000 victimes civiles de « disparitions forcées » dans les territoires occupés. Ces personnes peuvent être en détention ou décédées. Dans la plupart des cas, leurs familles ne savent pas.

En 2023, deux groupes ukrainiens de défense des droits humains, Zmina et le Center for Civil Liberties, ont dressé une liste de 585 civils arrêtés qui étaient en détention ou portés disparus en raison de leurs activités politiques et civiques dans les territoires occupés. Cette liste comprenait des représentants des autorités locales, d'anciens militaires, des bénévoles, des militants et des journalistes.

Les cas des prisonniers politiques de Crimée sont plus connus en raison de la force des organisations de la société civile dans cette région. Le Crimean Human Rights Group a actuellement un registre de 265 prisonniers de ce type, dont beaucoup sont issus de la communauté tatare de Crimée. Il y a aussi des milliers de prisonniers civils qui ont été transférés depuis les soi-disant républiques populaires de Donetsk et de Louhansk. Ils ont été jugés dans le cadre de systèmes juridiques arbitraires très locaux, puis transférés vers le système pénitentiaire russe.

Solidarité avec les prisonniers politiques anti-guerre

Dans le monde où on vit, avec la montée du militarisme et de l'autoritarisme, les manifestations contre la guerre en Russie ont une importance internationale.

Il est intéressant de faire une comparaison : en Grande-Bretagne, qui est très loin de connaître le type de dictature qui règne en Russie, ou même les menaces qui pèsent actuellement sur la démocratie aux États-Unis, la criminalisation des manifestants contre la guerre suit une logique idéologique kafkaïenne très similaire à celle qu'on voit en Russie. Palestine Action, qui organise des actions directes contre les livraisons d'armes à Israël, est menacée d'interdiction en vertu de la législation antiterroriste. Des chanteurs qui ont dénoncé le génocide à Gaza font l'objet d'enquêtes policières. Les parallèles avec certains cas russes sont frappants.

Que peut-on faire dans les pays occidentaux pour ces prisonniers politiques ?

D'abord, on peut sensibiliser l'opinion publique, surtout dans les milieux de gauche, où l'influence du campisme reste forte. Par campisme, j'entends l'idée que la Russie n'est pas vraiment une puissance impérialiste et ne mérite pas la même condamnation que les États-Unis ou Israël. Une autre chose à faire est d'écrire des lettres. C'est super difficile d'écrire des lettres depuis les pays occidentaux, alors que c'est une forme classique de soutien aux prisonniers politiques. C'est possible pour les russophones, mais pas pour les autres dans la pratique.

Mais on peut envoyer de l'argent aux gens qui organisent des colis et des lettres. Memorial est l'organisation la plus importante et la plus connue. Il y a aussi OVD-info, qui fait un travail fantastique depuis trois ans. Et j'ai déjà mentionné Solidarity Zone, le Crimea Human Rights Group et le Kharkiv Human Rights Protection Group, qui a ses racines dans Memorial. Ce sont toutes des organisations qui méritent pleinement notre soutien.

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