Analyses

Une analyse de Piotr Smolar sur l'accord entre les Etats-Unis et l'Ukraine concernant les ressources naturelles ukrainiennes

Après des négociations longues et difficiles, Kiev et Washington ont annoncé la signature d’un accord sur l’exploitation des minerais

"Fore, chérie, fore" - un des slogans de la campagne électorale de Trump à la gloire de l'extractivisme
May 1, 2025

Article de Piotr Smolar publié dans "Le Monde" du 1er mai 2025

Les Etats-Unis et l’Ukraine décident de créer un fonds d’investissement commun pour les ressources naturelles

Après des négociations longues et difficiles, Kiev et Washington ont annoncé, mercredi, la signature d’un accord sur l’exploitation des minerais contenus dans le sol ukrainien, ainsi que le pétrole et le gaz.

Par Piotr Smolar (Washington, correspondant)

Les négociations ont été âpres, longues, souvent peu amènes du côté américain. Elles ont néanmoins trouvé une conclusion positive, mercredi 30 avril. Les Etats-Unis et l’Ukraine ont annoncé la signature d’un accord sur l’exploitation des ressources naturelles dans le pays dévasté par la guerre, depuis l’invasion russe de 2022. Les deux parties vont établir un fonds d’investissement et de reconstruction, à participation égale, qui devra veiller aux projets d’exploitation des minerais contenus dans le sol ukrainien, ainsi que le pétrole et le gaz.

L’idée d’origine d’une implication américaine dans ces projets avait été avancée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en septembre 2024. Mais à son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a envisagé ce sujet comme une forme de paiement pour l’aide américaine militaire et financière engagée depuis le début la guerre. Une aide qu’il a estimée de façon arbitraire à 350 milliards de dollars, alors que le montant réel est environ trois fois inférieur.

Le président américain voulait donc une forme de réparation gigantesque, et cela sans offrir l’essentiel aux yeux de l’Ukraine : des garanties de sécurité, pour la protéger d’éventuelles attaques russes futures. La venue de Volodymyr Zelensky dans le bureau Ovale, fin février, fut un désastre diplomatique, reportant la signature de l’accord sur les minerais. Sa première mouture était extrêmement défavorable à Kiev et ressemblait à une extorsion, que Washington voulait faire signer sans tarder.

De façon plus discrète, la partie ukrainienne a ensuite travaillé, avec des juristes internationaux, pour présenter des amendements et des contre-propositions. La version finale qui a été validée – mais pas détaillée par la partie américaine – semble bien plus équilibrée et saine. « Cet accord signale clairement à la Russie que l’administration Trump est engagée en faveur d’un processus de paix centré sur une Ukraine libre, souveraine et prospère sur le long terme », a précisé le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, dans un communiqué, employant ainsi des mots jamais entendus dans la bouche du président américain.

La souveraineté ukrainienne respectée

Homme-clé de cette négociation, Scott Bessent s’était plaint plus tôt dans la journée, lors d’une réunion du cabinet autour de Donald Trump, d’un contretemps de dernière minute côté ukrainien. Dans le communiqué, il précise qu’« aucun Etat ni aucune personne ayant financé ou alimenté la machine de guerre russe ne sera autorisée à bénéficier de la reconstruction de l’Ukraine ».

Du côté ukrainien, la ministre de l’économie, Ioulia Svyrydenko, était à Washington pour signer le document, qui devra être encore ratifié par la Rada (Parlement). Elle a détaillé sur le réseau X dans un long fil le contenu de cet accord. Selon la ministre, le fonds créé place les deux partenaires sur un plan d’égalité, respectant la pleine souveraineté ukrainienne. Kiev sera le seul décisionnaire en matière de lieux et de ressources à exploiter.

Le document ne prévoit pas de réparations financières aux Etats-Unis pour leur aide multiforme depuis le début de la guerre, en février 2022. « L’accord respecte la Constitution et préserve la trajectoire de l’Ukraine vers une intégration européenne », souligne Ioulia Svyrydenko. Il s’agissait d’un point-clé pour Kiev, qui ne voulait pas se retrouver dans une situation de dette immédiate et lourde vis-à-vis de Washington, portant un coup à ses ressources budgétaires déjà très limitées par la guerre. La priorité est de tenir ses engagements par rapport à l’Union européenne, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Le fonds créé ne sera alimenté que par de nouveaux revenus, générés par des permis inédits d’exploitation des minerais, du pétrole et du gaz. Les projets déjà existants ne sont donc pas concernés, leurs recettes demeurant entièrement ukrainiennes.

Un potentiel encore largement spéculatif

La ministre de l’économie insiste sur l’importance des investissements américains à venir et des transferts de technologie. Elle ose même lier le fonds à la mise à disposition de nouvelles aides de type militaire, citant les systèmes de défense antiaérienne, que réclame le président Volodymyr Zelensky pour mieux protéger les zones civiles contre les missiles russes. Or Donald Trump, lorsqu’il était interrogé ces derniers temps sur la mauvaise volonté de Vladimir Poutine en vue d’un cessez-le-feu, n’a jamais évoqué de nouvelles livraisons d’armes. Il a préféré citer des sanctions financières et bancaires éventuelles contre Moscou, notamment pour affaiblir ses recettes énergétiques.

Selon l’Ukraine, cet accord est mutuellement bénéfique et ancre la relation bilatérale sur le long terme, même si – détail essentiel à rappeler – le potentiel des minerais ukrainiens demeure largement spéculatif et nécessite des investissements énormes. « Nous escomptons que pendant les dix premières années, les profits et les revenus du fonds ne seront pas redistribués, mais au lieu de cela réinvestis en Ukraine dans de nouveaux projets ou dans la reconstruction, précise la ministre de l’économie. Ces termes feront l’objet de discussions à venir. »

Dans le communiqué américain, il est aussi fait mention de la volonté partagée de « rendre opérationnel au plus vite » cet accord. Une façon de reconnaître, en creux, que ses paramètres généraux ont beau être fixés, il reste beaucoup d’incertitudes sur sa mise en œuvre concrète. La poursuite du conflit armé risquerait de réduire ce document à une ambition de papier. Si l’accord établit un lien économique fort entre les Etats-Unis et l’Ukraine, il représente surtout à ce stade une forme d’assurance politique et psychologique pour Donald Trump, qui estimait son pays abusé. Mais une fin de l’implication diplomatique américaine, en vue d’une paix négociée, laisserait l’Ukraine dans une forme de précarité sécuritaire inédite depuis trois ans.

Piotr Smolar (Washington, correspondant)

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