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Les Pays-Bas se préparent à expulser un millier de réfugiés en provenance d'Ukraine

Les politiques anti-migrants des Pays-Bas s'attaquent aux réfugiés les plus vulnérables venus d'Ukraine: les ressortissants des pays tiers

Amoakohene Ababio Williams, 26 ans, originaire du Ghana, raconte qu’il a été séparé de sa femme ukrainienne, Sattennik Airapetryan, 27 ans, et de leur fils d’un an, Kyle Richard, avec d’autres hommes noirs, juste avant d’atteindre la frontière polonaise après avoir fui Odessa. « Je pensais que c’était fini. Que je ne la reverrai peut-être plus jamais. » Il a réussi finalement à traverser la frontière et à les rejoindre. PHOTOGRAPHIE DE ANASTASIA TAYLOR-LIND
Jun 10, 2025

En 2022, plus de huit millions de réfugiés ont quitté l'Ukraine suite à l'invasion russe. La majorité de ces réfugiés ont été accueillis en Europe. Les trois pays qui ont accueilli le plus grand nombre de réfugiés sont la Pologne (plus de 1,5 million), l'Allemagne (environ un million) et la République tchèque (environ 500 mille).
Parmi les réfugiés, il y avait plusieurs dizaines de milliers de ressortissants de pays-tiers qui vivaient en Ukraine au moment de l'invasion massive: travailleurs immigrés (notamment en provenance des anciennes républiques soviétiques en Asie centrale et au Caucase), étudiants (notamment 70.000 étudiants africains). La sortie d'Ukraine de ces réfugiés n'a pas toujours été facile. Dans différentes villes, la police ukrainienne ne les laissait pas monter dans les autobus se dirigeant vers la frontière. Dans certains cas, c'est la police des frontières qui ne les laissait pas passer.

Lorsque l'Union européenne a adopté une directive accordant une protection temporaire aux réfugiés d'Ukraine, elle a laissé aux Etats-membres une pleine discrétion dans le choix de leur politique à l'égard des ressortissants des pays tiers. L'Espagne et le Portugal ont accordé la protection temporaire à tous les réfugiés, indépendamment de leur nationalité. Les Pays-Bas ont adopté cette même politique initialement.

D'autres pays ont adoptés des clauses plus ou moins étendues restreignant l'accès à la protection temporaire. Par exemple, la République tchèque et l'Allemagne ont conditionné la protection temporaire à l'existence d'un titre de séjour permanent en Ukraine. La Belgique a été beaucoup moins accueillante. Elle a imposé une triple condition: les ressortissants de pays tiers devaient posséder un titre de séjour permanent en Ukraine, ils devaient prouver qu'ils y vivaient habituellement, ils devaient également prouver qu'ils couraient des dangers en cas de retour dans leur pays d'origine. La France a adopté une politique assez proche de celle de la Belgique. Elle a restreint l'accès à la protection temporaires aux ressortissants de pays tiers qui avaient déjà obtenu un statut de protection en Ukraine ou qui cumulaient deux conditions: un séjour permanent en Ukraine et l'impossibilité de rentrer dans leur pays d'origine "de façon sûre et durable". La Pologne a suivi une politique particulièrement brutale à l'égard des étudiants africains venus d'Ukraine: elle leur donné l'ordre de quitter le pays dans un délai de quinze jours et n'a jamais étendu le statut de protection temporaire à des ressortissants de pays tiers.

La protection temporaire prévue par le droit européen s'étendait sur une période initiale d'un an. En 2022, personne ne pouvait prévoir que la guerre allait se prolonger. D'autres directives ont été adoptées pour prolonger la protection temporaire. Actuellement, ce statut reste en vigueur jusqu'en mars 2026 et la Commission européenne a récemment proposé de prolonger la protection temporaire jusqu'en mars 2027 afin de garantir la continuité de la sécurité juridique et du soutien dans tous les États membres.

Entre 2022 et 2025, une partie des réfugiés sont retournés en Ukraine ou se sont installé dans d'autres pays. On estime que le nombre de réfugiés d'Ukraine dans les pays de l'Union européenne est passé de 4,8 millions en 2022 à 3,5 millions en 2024.

En 2022, les Pays-Bas avaient accueilli les réfugiés sans discrimination basée sur leur nationalité. Cette politique a été remise en cause par différents règlements adoptés ultérieurement. Suite à des recours judiciaires, l'expulsion des réfugiés ayant la nationalité d'un pays tiers a été retardée. Le 19 décembre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne a donné le feu vert à l'Etat néerlandais en considérant que le droit européen ne s'oppose pas à ce qu'un Etat membre puisse retirer le bénéfice de la protection temporaire à des personnes d'un pays tiers.

À partir du 4 septembre 2025, les ressortissants de pays tiers originaires d'Ukraine n'auront plus droit à la protection temporaire aux Pays-Bas et disposeront de quatre semaines pour quitter le pays. Cela s'appliquera à un millier de personnes.

Suite à l'arrêt de la Cour européenne, le Service de l'immigration et de la naturalisation (IND) des Pays-Bas a annoncé le 5 juin qu'il fixait une date limite pour le départ des ressortissants de pays tiers arrivés d'Ukraine après le début de l'invasion massive par la Russie en 2022. À partir du 4 septembre 2025, les ressortissants de pays tiers originaires d'Ukraine n'auront plus droit à la protection temporaire aux Pays-Bas et disposeront de quatre semaines pour quitter le pays. Des exceptions s'appliquent aux personnes titulaires d'un permis de séjour, dont la procédure d'asile est en cours ou qui ont introduit une demande de permis de séjour régulier avant le 4 septembre.

D'après les statistiques disponibles, il y aurait actuellement aux Pays-Bas environ 120.000 réfugiés venant d'Ukraine. Parmi ces réfugiés, les ressortissants de pays tiers qui vont devoir quitter le pays seraient approximativement au nombre de 1.000. L'enjeu économique pour les Pays-Bas est pratiquement nul d'autant plus que de nombreux réfugiés travaillent. C'est l'enjeu symbolique qui est important: proclamer que des personnes qui proviennent majoritairement d'Afrique et d'Asie sont indésirables sur le territoire des Pays-Bas.

Cette situation met en évidence la porosité des politiques de la droite classique et de l’extrême-droite en ce qui concerne les migrants. La décision de priver les réfugiés venus d’Ukraine mais ayant la nationalité d’autres pays avait été prise par le gouvernement antérieur, dirigé par Mark Rutte du parti libéral VVD. Entretemps Mark Rutte est devenu secrétaire-général de l’OTAN et un nouveau gouvernement a été formé en juillet 2024 avec la participation décisive du parti d'extrême-droite, le PVV. La mesure adoptée par Rutte avait été suspendue par des recours judiciaires.  Par ailleurs, le PVV dirigé par Geert Wilders a quitté le gouvernement depuis le 4 juin 2025, considérant que la politique anti-migrants n’était pas assez radicale. Il est donc peu probable que le PVV ait joué un rôle particulier dans une décision adoptée par le gouvernement antérieur et mise en application par un gouvernement dont il vient de sortir.

Laurent Vogel (RESU-Belgique)

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