Éliminer l’identité ukrainienne dans les territoires occupés
Dans toutes les zones qu’elle occupe, la Russie impose de manière brutale à la population locale de prendre la citoyenneté russe.

Article publié sur le site Human Rights in Ukraine, 18 avril 2025.
Traduit en français par Soutien à l'Ukraine Résistante n°38
Dans toutes les zones qu’elle occupe, la Russie impose de manière brutale à la population locale de prendre la citoyenneté russe. Un des moyens utilisés a été la menace de la priver de ses biens. Désormais, ceux qui ont accepté de prendre la nationalité russe risquent de se retrouver sans domicile.
Directeur du Centre de recherche sur l’occupation et ancien conseiller du maire de Marioupol, Petro Andriuchtchenko évoque le « pillage total des habitants de Marioupol » et affirme que le nombre d’appartements placés sous séquestre au prétexte d’une prétendue absence de « propriétaire » ne cesse d’augmenter.
La situation est « surréaliste ». Aux milliers de gens qui avaient pris la nationalité russe pour conserver leur appartement et qui avaient fait la queue des jours entiers pour « réenregistrer » leur bien conformément à la législation russe, il est répondu qu’ils n’avaient plus de domicile.
Andriuchtchenko diffuse une vidéo où l’on voit une femme debout devant le logement où elle a vécu pendant trente ans et à laquelle l’administration chargée du logement refuse de lui remettre les clés. Elle n’est pas la seule victime.
Le site ukrainien 0629.com.ua a examiné la dernière liste d’appartements dits « sans propriétaire » publiée le 4 avril par les autorités d’occupation de Marioupol. […] Elle comporte plus de 300 appartements. Des listes similaires sont en cours d’élaboration dans toutes les régions occupées, à l’exception de la Crimée. En effet, bien que la Russie ait rendu tout aussi impossible la vie en Crimée si on n’a pas la citoyenneté russe, le Kremlin a été plus lent à introduire des mesures empêchant les propriétaires ukrainiens de conserver leurs biens sans passeport russe.
Par contre, depuis 2022, tous les faux-semblants ont été abandonnés et les mesures de pillage sont plus rapides et plus agressives.
À Marioupol, les propriétaires ont trente jours pour se présenter en personne et pour contester la classification de leur bien comme « sans propriétaire ». Si le propriétaire en titre est contesté par les autorités ou absent – un grand nombre d’Ukrainiens ont été contraints de fuir –, cela permet le pillage encore plus librement. Les organisations de défense des droits humains conseillent cependant aux Ukrainiens se trouvant dans cette situation de ne pas retourner dans les territoires occupés pour faire valoir leurs droits. Ils risquent d’être arrêtés et condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement sur la base de fausses accusations. […]
Au cours de l’été 2024, RIA-Melitopol s’est entretenu avec des Ukrainiens de Melitopol (dans la partie de la région de Zaporijjia occupée) qui avaient tenté de retourner à Melitopol via Moscou et l’aéroport de Cheremetievo. Ils ont rapporté que le formulaire qu’ils devaient remplir contenait des questions sur leurs biens immobiliers auxquelles il fallait répondre de manière exhaustive, allant jusqu’à mentionner les parts détenues dans les appartements de leurs proches. « En règle générale, les propriétaires de biens particulièrement prisés, tels que les magasins ou les beaux appartements, sont renvoyés là d’où ils sont venus. » Le FSB vérifiait les réponses concernant leurs biens à l’aide de données informatiques et toute omission servait de prétexte pour une « expulsion » immédiate.
Selon RIA-Melitopol, il est légitime de penser que le FSB dispose d’une liste des biens convoités par les envahisseurs.
« Nationalisation », extorsion et substitution de population
Le 7 avril, Ivan Fedorov, chef de l’administration régionale de Zaporijjia, a rapporté que si les envahisseurs pillaient le territoire occupé depuis trois ans, ils utilisaient désormais une nouvelle méthode la « vente aux enchères » de terres illégalement confisquées et « nationalisées ».
Selon lui, cela permet de se débarrasser des Ukrainiens jugés « déloyaux [à la Russie] » et de les remplacer par des mercenaires ayant combattu contre l’Ukraine, ou par des « spécialistes » venus de Russie.
Tout cela n’est pas nouveau. En mai 2024, le groupe East Human Rights Group signalait que des terrains étaient attribués à l’armée d’occupation après avoir été inscrits au registre russe des « terres confisquées ». À l’époque, quelque 2 000 terrains avaient été illégalement attribués. Ce chiffre est sans doute beaucoup plus élevé aujourd’hui.
Si les chiffres cités précédemment ne concernaient que l’installation de quelque 10 000 « spécialistes » russes avec leurs familles dans la région occupée de Zaporijjia, Petro Andriuchtchenko citent d’autres sources indiquant que la Russie est déterminée à modifier totalement la composition démographique des territoires occupés : cinq millions de ressortissants de la Fédération de Russie pourraient être déplacés sur le territoire ukrainien occupé d’ici 2030. Cette estimation découle des plans annoncés lors d’un forum à Rostov, intitulé « Intégration 25 », qui évoquait une population de dix millions d’habitants dans tous les territoires occupés, à l’exception de la Crimée. […]
Cela s’inscrit dans le cadre des tentatives claires et extrêmement agressives de la Russie pour éradiquer l’identité ukrainienne sur le territoire occupé et pour emprisonner ou se débarrasser des Ukrainiens considérés comme « trop ukrainiens ». Le 25 mars 2025, Vladimir Poutine a publié un décret selon lequel les citoyens ukrainiens seront expulsés s’ils n’ont pas pris la nationalité russe. À en juger par le nombre considérable d’arrestations d’Ukrainiens dans les territoires occupés, y compris ceux qui ont pris la nationalité russe, sous des accusations absurdes d’« espionnage » ou de « trahison », il semblerait que tous les Ukrainiens soient considérés, dans une certaine mesure, comme « peu fiables » […].
Halya Koynach
Halya Koynach est membre du Groupe de défense des droits humains de Kharkiv. Article publié sur le site Human Rights in Ukraine, 18 avril 2025.