Les Roms en première ligne : «Nous nous battons pour l'Ukraine»
Les Roms qui ont servi dans les forces armées ukrainiennes ont fait plus pour briser les stéréotypes que des dizaines de tables ronde

Source: Anti-Discrimination Centre
publié en anglais le 14 mai 2025
cet article est également disponible en russe
traduit en français par le RESU-Belgique
Histoires de ceux qui défendent l'Ukraine et combattent les stéréotypes sur les Roms
Dans le cadre des événements annuels consacrés à la Journée internationale des Roms, le 8 avril 2025, une discussion a eu lieu à Bruxelles sur la participation des Roms à la défense de l'Ukraine contre l'agression russe. Cet événement était organisé par l'ADC «Memorial » avec le soutien du Partenariat international pour les droits de l'homme (IPHR) et la participation du Centre ukrainien d'études roms de l'université d'État de Kherson.
Les principaux intervenants de la réunion étaient Arsen Mednyk et Oleksii Panchenko, des militaires qui se sont engagés volontairement dans l'armée, et des représentants de la communauté rom d'Ukraine.
Le vendredi 7 novembre à 15h, le RESU organise une rencontre en ligne avec Yanush Panchenko
Depuis le début de l'agression russe en 2014, des milliers de Roms ont été touchés par la guerre : en tant que civils sur des territoires temporairement occupés, en tant que réfugiés tentant de fuir vers des zones plus sûres, et entant que militaires. Depuis février 2022, les Roms ukrainiens partagent les difficultés de la guerre avec les autres nationalités, défendant leurs foyers, leurs familles et leur pays en première ligne.
Au cours de la réunion, un film documentaire a été présenté sur la vie d'Arsen Mednyk, un vétéran des forces armées ukrainiennes qui a connu des combats intenses et a été gravement blessé. Malgré la discrimination dont Arsen a été victime avant la guerre et au début de son service, il est devenu commandant d'une unité d'assaut et a brisé les stéréotypes généralement associés aux Roms.
« Je suis parti me battre pour ma maison, pour ma famille. Plus tard, j'ai vu comment fonctionnaient les équipes d'assaut et j'ai voulu en faire partie »,a-t-il déclaré.
Un autre participant à la réunion, Oleksii Panchenko, a souligné :
« Au combat, nous sommes tous égaux : nous buvions à la même gourde, nous partagions une seule boîte de ragoût entre cinq personnes. »
Les participants à la réunion de Bruxelles ont également discuté de la discrimination et des crimes commis par les forces russes contre la population rom dans les territoires occupés de l'Ukraine (dans les régions de Kherson et de Zaporijia) : meurtres, viols, enlèvements et extorsion. Yanush Panchenko, expert et défenseur des droits humains, a appelé à ce que ces cas soient documentés et rendus publics :
« De nombreux Roms ont peur de raconter ces histoires parce qu'ils espèrent rentrer chez eux. Mais le silence ne protège pas. Ces histoires doivent être entendues. »
Selon les estimations des experts et des médias, environ un millier de Roms servent dans les forces armées ukrainiennes en 2025. Leur contribution ne se limite pas à la défense du pays, mais contribue également à briser des stéréotypes de longue date. « Arsen, Oleksii et d'autres Roms qui combattent en première ligne ont fait plus en trois ans pour lutter contre la discrimination et améliorer l'image des Roms en Ukraine et en Europe que quiconque aurait pu l'imaginer », déclare Yanush Panchenko.
Cette publication contient trois témoignages à la première personne :
- Arsen Mednyk, qui s'est rendu au front après l'occupation de sa ville natale, Bucha, et est devenu commandant, brisant ainsi les stéréotypes sur les Roms dans les forces armées ukrainiennes.
 - Oleksii Panchenko, un chauffeur de la région de Zaporijia, pour qui le front est devenu un lieu d'égalité et de fraternité.
 - Yanush Panchenko, défenseur des droits humains et chercheur qui documente les histoires des Roms touchés par la guerre.
 
Leurs histoires ne parlent pas seulement de guerre, mais aussi de dignité, de solidarité et du droit de faire partie de l'histoire de leur pays.

« Je suis parti me battre pour ma maison. »
L'histoire d'Arsen Mednyk
Arsen Mednyk est photographié à droite
Je m'appelle Arsen. Je suis parti au front parce que ma famille était sousoccupation, dans la ville de Bucha. C'est ma ville natale. Mes proches, mesvoisins et mes amis y vivaient, des Ukrainiens avec lesquels nous avonstoujours été proches. Je suis parti me battre pour ma maison et ma famille.
Au début, j'ai servi dans la défense civile dans la région de Kiev, à Bucha.Au départ, on se méfiait de moi. Je suis rom et je n'ai pas été immédiatement accepté. Mais tout a changé lors de la première bataille. J'ai alors montré que je pouvais agir de manière décisive et être au bon endroit. Mes camarades et moi avons survécu, et après cela, ils ont commencé à me traiter comme leur égal. J'ai brisé les stéréotypes. Ils ne voyaient plus en moi un « gitan », mais une personne.
Plus tard, j'ai vu comment fonctionnait l'unité d'assaut. Elle était si coordonnée, comme un seul organisme, que j'ai voulu faire partie d'une telle équipe. À ce moment-là, ma famille était déjà en sécurité, je me suis rendu au bureau d'enrôlement militaire et je me suis rapidement retrouvé au camp d'entraînement. Grâce à mon expérience et au soutien d'un ancien commandant, j'ai rapidement terminé ma formation. C'est là que j'ai reçu mon surnom "Baron". J'avais des compétences en leadership et je disais toujours la vérité, que je m'adresse à un soldat ou à un officier.
Je savais à quel point c'était difficile pour les officiers des forces armées ukrainiennes, et je les respectais. Ils me respectaient également. Une fois, il y avait des mitrailleuses de gros calibre sur le terrain d'entraînement, et personne ne savait comment les installer. J'ai trouvé une vidéo sur YouTube, je l'ai étudiée attentivement et je les ai installées correctement du premier coup. Cela m'a valu le respect de mes camarades, qui ont commencé à me faire confiance.
Oui, j'ai été victime de discrimination. Un type m'a dit : « Les Tsiganes sont des gens sympas, mais on n'a pas besoin d'eux ici. » Mais mes camarades l'ont arrêté eux-mêmes. Sans se battre, ils lui ont simplement expliqué. Depuis, plus personne n'a osé dire un mot contre moi.
Il y avait aussi de la discrimination avant la guerre. La police m'arrêtait souvent, simplement à cause de mon apparence. Dans le métro, dans les magasins. Je cherchais instinctivement mon passeport. Quand on vit cela tout le temps, cela pèse sur vous. Mais je ne suis pas allé à l'armée pour ceux qui me discriminaient. Je suis parti pour l'avenir. Pour les enfants. Pour le peuple.
Quand vous savez que votre famille pourrait mourir et que vous avez la possibilité de la protéger, vous prenez les armes. C'était ma décision. Et au front, tout est différent. Là-bas, peu importe qui vous êtes. Ce qui compte, c'est comment vous agissez. Je suis devenu commandant après la mort de notre commandant. Les gars eux-mêmes ont dit : « C'est toi le commandant. Tu n'as pas eu peur, tu es allé de l'avant. On peut te suivre en toute sécurité. »
Mais il y a aussi eu des moments terribles. L'un d'eux a été la mort de monami Yura. Il n'avait que 22 ans. Un obus de char a transpercé un arbre, son gilet pare-balles et son corps. Il est mort sous mes yeux, c'était comme perdre un frère. Il n'avait ni femme ni enfants, il était le dernier de sa famille, c'est un génocide. Et je n'oublierai jamais cela.
Après avoir été blessé — éclats d'obus dans le bras, perte d'audition, douleur — une guerre intérieure a commencé. Insomnie, souvenirs, culpabilité d'avoir survécu. Seule une conversation avec un psychologue m'a aidé à commencer à m'en sortir. Aujourd'hui, chaque jour ressemble à une bataille. Mais je tiens bon.
À l'avenir, je veux reprendre mon métier. Je suis cordonnier, bijoutier. Je travaillerai. Et bien sûr, je ne vois mon avenir qu'avec l'Ukraine. C'est ma patrie.
Depuis 2014, la situation dans le pays a commencé à changer. Il y avait moins d'anarchie, moins de discrimination. Et depuis 2022, les gens ont commencé à s'entraider. L'essentiel est de survivre. Et je vois comment les attitudes envers les Roms changent. J'ai dit aux gens : « Vous me connaissez, je ne vous ai jamais fait de mal, pourquoi me jugez-vous à cause de mon origine ethnique ? » Parfois, cela a fonctionné.
Je crois que notre contribution, la contribution des Roms au front, changera les attitudes à notre égard. Nous défendons l'Ukraine. Et je veux que nous soyons respectés pour cela. Même un simple « merci » est important. Cela nous aide à croire que nous ne nous sommes pas battus en vain.

Les Roms en première ligne ne sont pas une sensation, mais une réalité
L'histoire d'Oleksii Panchenko : volontaire, chauffeur, soldat
Je m'appelle Oleksii. Je suis Rom, originaire de la région de Zaporizhzhya. Avant la guerre, je travaillais dans toute l'Europe, comme chauffeur routier et mécanicien. Lorsque l'invasion à grande échelle a commencé, j'ai quitté le territoire occupé le 8 avril. Une femme et trois enfants nous accompagnaient.Le 15 avril, j'étais déjà au bureau d'enrôlement militaire. Je m'y suis rendu volontairement, j'ai accepté cela comme la seule décision possible.
J'ai servi comme chauffeur de convoi, au volant d'un gros véhicule. Nous étions souvent envoyés en mission d'évacuation ou de transport. J'étais rarement stationné au même endroit, toujours en déplacement. C'était difficile, mais il était important pour moi d'être au bon endroit et de faire tout ce que je pouvais.
Honnêtement, au début, personne ne savait que j'étais rom, personne ne m'a posé la question. Plus tard, ils l'ont peut-être deviné, mais personne n'a rien dit. Ni dans mon unité, ni dans le bataillon. Quand on a finalement appris que j'étais rom, les gens ont été surpris. Ils sont même venus d'autres bataillons, comme pour une excursion.
Mais sur le front, tout le monde est égal. Là-bas, peu importe votre nationalité. Dans les tranchées, dans la forêt, pendant les trajets en voiture, tout le monde partage une boîte de ragoût, boit de l'eau à la même bouteille. Je n'ai ressenti aucune discrimination. Nous formions une véritable équipe.
Le moment le plus chaleureux de mon service a été mon anniversaire. Nous étions en état d'alerte maximale, sous la menace. Les gars sont allés au magasin et ont rapporté un gros gâteau et deux bouteilles de champagne. Je dormais dans le camion KAMAZ. Et quand je me suis réveillé, il y avait le gâteau, mes amis à côté de moi, tous vivants. C'était le plus beau des cadeaux.Parce qu'il y avait la mort tout autour. Trop de morts — je ne veux même pas dire combien. Mais je me souviendrai de cette journée pour toujours.
Ma famille vit toujours dans le territoire occupé. Nous nous inquiétons constamment pour eux. Lorsque nous traversions Vasylivka, un soldat tchétchène nous a arrêtés à un poste de contrôle. Il a dit : « Restez ici, ça va être amusant. » Mais j'ai répondu : « Non, je vais continuer. » Ils nous ont contrôlés, ont regardé nos papiers, et nous avons pu passer. Il y avait beaucoup de postes de contrôle, mais nous avons eu de la chance.
Je n'ai pas été personnellement victime de discrimination, mais je sais qu'elle existe. J'ai toujours essayé d'être digne, de faire mon travail consciencieusement. Et peut-être que cela se ressentait. J'avais des camarades qui valorisaient les actions, pas les origines. Nous sommes devenus de vrais frères.
En temps de guerre, cela se ressent encore plus fortement : votre vie dépend de l'autre personne. Et sa vie dépend de vous. Là-bas, tout est mis à nu. Les vraies valeurs, l'esprit, la détermination. Et la nationalité n'a plus d'importance.

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Les Roms en première ligne : nous nous battons pour l'Ukraine
L'histoire de Yanush Panchenko, défenseur des droits humains, chercheur et cofondateur du Centre ukrainien d'études roms à l'université d'État de Kherson
Je suis rom et j'ai consacré la majeure partie de ma vie à travailler avec la communauté rom, en tant que militant, chercheur et défenseur des droits humains. Je sais comment fonctionne la discrimination de l'intérieur, non seulement parce que je l'ai moi-même vécue, mais aussi parce que j'écoute les histoires des autres. Des gens comme Arsen et Oleksii.
Quand je suis entré à l'université de Kiev, ma famille m'a dit : « Tu vas vivre parmi des non-Roms, ne dis à personne que tu es rom. » Pendant longtemps, je suis resté silencieux parmi les étudiants et mes nouvelles connaissances. Mais un jour, j'ai réalisé que se cacher revenait à accepter les préjugés des autres. J'ai commencé à parler ouvertement de mon identité et j'ai vu que cela changeait les attitudes. Les professeurs ont commencé à s'intéresser à moi, à me témoigner du respect. J'ai réalisé que je pouvais non seulement parler, mais aussi représenter notre communauté.
Aujourd'hui, je travaille avec les personnes touchées par la guerre, y compris les Roms. Je connais des cas où des Roms ont été enlevés, torturés, retenus en captivité. Un garçon handicapé, un adolescent, a été emmené en prison à Kakhovka. Ils l'ont forcé à creuser, à enterrer des corps. Une femme a dû payer une rançon aux soldats pour récupérer son propre fils. Mon frère a été arrêté à cause de messages trouvés sur son téléphone. Ces histoires sont des tragédies quotidiennes dont les gens ont souvent peur de parler.
Les Roms restent silencieux, par crainte de perdre leur maison, de ne pas pouvoir rentrer chez eux, ou simplement par habitude de rester discrets. Mais nous devons parler. Car la contribution des Roms à cette guerre est énorme. Rien que pendant les premières années, environ un millier de Roms ont servi dans les forces armées ukrainiennes. Ils ont fait plus pour briser les stéréotypes que des dizaines de tables rondes.
Vous vous souvenez, en 2022, lorsque les Roms ont capturé un char à Lyubymivka ? Cela est devenu un mème, mais aussi un véritable symbole. Nos recherches ont montré que 55 % des Ukrainiens sont au courant de cet événement, et que beaucoup d'entre eux ont changé leur attitude envers les Roms. C'est le pouvoir d'une histoire vraie.
Mais tout dépendra de la diffusion de ces histoires. Seront-elles entendues? Feront-elles partie de l'histoire de l'Ukraine ? Ces personnes ont déjà faitleur part : elles ont perdu leur santé, et certaines ont perdu la vie. Leur contribution n'est pas moindre que celle de quiconque.
Je rêve qu'après la victoire, les Roms seront visibles : dans les écoles, dans les musées, dans les rues, au parlement. Parce qu'ils sont déjà enpremière ligne. Et ils se battent pour l'Ukraine.
Les photos sont de Yanush Panchenko.
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